LE JUGE
Au tribunal des enfants battus, un juge à face de citron les contemple.
Raconte, dit-il au premier.
On m'a pendu par les pieds, cochon de lait en chambre froide, fait l'enfant.
Mes yeux éclataient de tout le sang concentré.
Moi, on m'a soulevé par les oreilles, renchérit un autre.
La droite s'est détachée, plus légère qu'une feuille d'érable en hiver.
Et moi, j'ai reçu des coups de ceinture, bégaie le troisième.
La boucle sur mes jambes traçait des lignes rouges.
Un gamin en retrait ne disait rien. Sa tête ballotait en fruit gorgé d'eau.
Et toi, fit le juge. Tu n'as rien à dire ?
Le petit se retourna plusieurs fois pour vérifier que c'était bien à lui qu'on parlait.
Moi, moi... balbutia-t-il.
Les mots dans sa gorge semblaient des épines arrachées au vent.
Oui, toi, toi ! fit le juge légèrement agacé.
Moi, moi... on me faisait tout ça aussi,
et les brûlures de cigarette à la pliure des bras,
et les coups de torchon mouillé dans le creux du dos, mais ce n'était rien.
Rien ? éructa le juge étonné.
Non, rien, reprit le petit. Le pire était ce qu'on me criait.
Et que te criait-on ? demanda le juge en secouant sa toge en drapeau noir.
On me criait que je n'existais pas.
Et c'est vrai, n'est ce pas ?
Voyez donc ! Même mon ombre s'est enfuie.